Notre façon de travailler est bousculé par la transformation numérique. Ce livre blanc, fruit d'un effort commun de la FEPS, fait le point sur l'évolution du portage salarial qui en est affecté.
"La transformation du marché de l’emploi initiée par les nouvelles technologies – celles du numérique et de la robotique – va avoir un impact sur la protection sociale.
Il s’agit d’une révolution profonde qui va radicalement modifier les rapports de travail, mais aussi l’architecture complète du droit social, au-delà de celui du travail. A chaque étape concrétisant une révolution technologique, d’inexorables mutations se traduisent par la destruction massive d’emplois et la création de nouveaux emplois, de nouvelles entreprises ainsi que la transformation profonde de celles existantes.
Ceci parce que les nouvelles technologies, d’une part favorisent la productivité, d’autre part permettent in fine le progrès social, spécialement par l’amélioration du bien-être au travail (en particulier sur les terrains de la durée du travail, de la santé et de la sécurité).
La nouvelle révolution en cours, qu’il est d’usage d’appeler révolution numérique, n’échappera pas à cette constante, mais son ampleur sera beaucoup plus importante. Le droit du travail a été créé par et pour la civilisation de l’usine et ses modes hiérarchiques d’organisation. La civilisation du savoir verra progressivement naître son dépassement par celui de l’activité professionnelle regroupant tous les travailleurs, du plus subordonné juridiquement au totalement indépendant économiquement.
Dans cette construction – inéluctable parce que les nouvelles technologies favorisent les libertés individuelles, expression souveraine des droits de l’Homme –, le niveau de protection ne dépendra plus de l’appartenance à une catégorie ou à un statut, mais du niveau d’autonomie, donc de responsabilité permettant plus aisément au contrat individuel de faire seul la loi des parties.
Dès lors se bâtira un socle de droits fondamentaux (inspirés des droits de l’Homme) applicable à tous les travailleurs, au-delà duquel les niveaux de protection évolueront de manière inversement proportionnelle au degré d’autonomie.
Le droit de la protection sociale jouera un rôle déterminant dans cette transformation.
Il est d’ailleurs aisé d’envisager que les droits collectifs à la négociation et à l’action, qui sont l’un des trois piliers de ce socle, s’appliquent par essence à tous les travailleurs, l’alinéa 8 du préambule de la Constitution de 1946 faisant par exemple référence aux « travailleurs » et non aux salariés.
Par contre, la protection sociale – pilier majeur de ce socle - devra être revue en profondeur pour faire émerger ce que Pierre Laroque appelait de ses vœux en 1945 au travers de l’article 18 de l’ordonnance sur la sécurité sociale, modifié ensuite en article L1 du code du travail : un dispositif de garanties permettant, au vu du degré d’autonomie, de mieux satisfaire aux droits fondamentaux et aux libertés individuelles, à savoir la dignité, l’égalité de traitement, le droit à un revenu décent, l’accès à la justice mais aussi à l’emploi et donc à l’employabilité.
Cela implique par exemple, le maintien du revenu professionnel en cas d’incapacité de travail et la prise en compte des aspects nouveaux du travail, tels la mobilité, la multi-activité ou la para-subordination.
C’est un chantier immense sur lequel il faut investir dès maintenant, car les mutations technologiques actuelles – qui se concrétisent par le fait que les outils nouveaux servent, contrairement à ce qui s’est passé précédemment, pour l’activité personnelle et pas seulement professionnelle – vont menacer des constructions essentielles, y compris l’identification de l’entreprise par l’unité de temps, de lieu, d’action.
Dans le même temps, les distinctions traditionnelles du monde du travail (ouvriers, employés, cadres, dirigeants…) sont également amenées à fortement évoluer.
C’est au vu de ce qui précède que présente un intérêt de mobiliser économistes, actuaires, juristes, sociologues pour se saisir de cette question afin de créer– avec la Fédération des Entreprises du Portage Salarial et l’Observatoire du Travail Indépendant – un cadre juridique adapté aux mutations en cours."